Article publié le 9 février 2018 sur le site https://lilianeheldkhawam.com/2018/02/09/vos-enfants-sont-fiches-des-la-maternelle-valerie-chenard/

Temps de lecture : 6mn

Le livret scolaire unique numérique, l’ONU dénonce la violation des droits des enfants

Au même titre que les services publics postaux nationaux déroulent le tapis rouge à Amazon et aux géants américains du numérique pour concurrencer de façon déloyale les commerces locaux, les écoles et les enseignants doivent instruire un livret d’évaluation des compétences, le LSUN (livret scolaire unique numérique), pour chaque élève en complète violation des droits de l’enfant. C’est du moins ce que le Comité de l’Enfant (ONU) a déclaré en réitérant ses préoccupations en 2016 vis-à-vis du stockage massif et à durée indéterminée de données personnelles en France; une traçabilité numérique obligatoire des élèves et apprentis et ce, jusqu’à… leur mort à l’insu même des enfants et de leurs parents et donc au mépris de leur droit les modifier et de les supprimer. Même la CNIL, à ce jour n’informe pas sur leurs droits à ce sujet et cache ainsi aux parents ce fichage national de ces données extrêmement sensibles.

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Les enfants non scolarisés n’échappent pas à l’obligation car ils se voient imposé, depuis un décret du 28 octobre 2016 (n° 2016-1452), une évaluation annuelle des compétences fixées dans les programmes et par décret.

Traçabilité à vie, en effet, car le livret scolaire LSUN  disposerait d’une passerelle « orientation » permettant la communication entre le LSUN et le CPA (compte personnel d’activité) dont chaque citoyen est également doté à son insu depuis 2016 (2018 pour les professions libérales); y sont consignées par les organismes concernés (sécu, employeurs, Pole Emploi, organisme de formation ou de bilan,…)  toutes les activités (salaires numérisés, formation, arrêt maladie,..) y compris bénévoles donc même après la retraite.

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Quelles données personnelles dans le livret scolaire numérique ?

Adresse, profession des parents, téléphone, mail, absences, retards, activités périscolaires,… sont déjà renseignées depuis la mise en place du fichier Base Elève qui avait motivé le premier avertissement du comité de l’enfant de l’ONU en 2009 et qui est, il faut le souligner, à disposition également des maires de la commune pour le suivi des effectifs et des activités périscolaires.

Malgré ces recommandations d’anonymisation des données personnelles, depuis 2016, la violation de la vie privée des enfants a été renforcée par la mise en place du LSUN (livret scolaire unique numérique) qui effectue un fichage numérique généralisé de l’évaluation de leurs compétences de nature confidentielle et ce depuis le primaire.

… mais, sans rire le moindre du monde, les compétences ne seraient pas des données personnelles selon le porte-parole du gouvernement français !

« Non, le livret numérique n’a pas du tout le même objectif. Le livret numérique permet de voir, de suivre la scolarité de l’élève sur la maîtrise des compétences par rapport au socle commun. Mais ce n’est pas du tout un livret avec des données personnelles, c’est simplement sur la maîtrise des compétences. » […] Réponse de Mme P., représentante du ministère de l’Education Nationale,  aux objections du comité des droits de l’enfant –  enregistrement du 14 janvier 2016 à 11:15:24.

La plupart des données hautement sensibles personnelles qui avaient été retirées du fichier Base élèves suite aux mobilisations de 2007 et 2008, réapparaissent  en catimini dans le LSUN (acquis du socle commun, appréciations, difficultés, comportement, suivis particuliers, problèmes médicaux..).

Il devient  la seule source prise en compte (contrôle continu) pour l’obtention de brevet des collèges (Diplôme National du Brevet en fin de 3°) et pour l’affectation totalement  automatisée (logiciel Affelnet post 3ème) afin de décider de son orientation.

L’argument pédagogique de ce livret numérique est de plus, un leurre complet car c’est la négation même du droit à l’oubli et il permet la dépossession de son propre parcours qui appartient dorénavant à l’Etat.

Une des conséquences majeures est la transformation du livret scolaire personnel, propriété de l’enfant et de sa famille, en un livret électronique qui ne leur appartient plus et constitue la première brique d’un CV électronique, normé et de fait obligatoire, qui nous échappe également.

Le retour du livret ouvrier via l’Europass

C’est ni plus ni moins, le retour du livret ouvrier (1803-1890) en vigueur sous Napoléon 1° : ce livret papier était bien dans l’esprit du législateur « un moyen de contrôle des déplacements des ouvriers, un moyen d’imposer la discipline et de lutte contre le vagabondage. Cependant il deviendra aussi un « brevet de capacité » attestant de la qualité et des compétences des ouvriers. »

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Ainsi, dans sa droite ligne politique de formation et d’orientation tout au long de la vie, le Conseil de l’Union Européenne  en  2012 recommande l’utilisation de l’Europass pour valider les acquis d’apprentissages officiels ou informels. Il s’agit d’harmoniser les pratiques entre États européens, la plupart ne disposant pas encore de « système de validation élaboré », afin que les compétences acquises hors du système éducatif puissent « profiter » aux individus comme à la compétitivité de l’Europe. Outil pour l’une des 4 libertés de l’UE « la libre circulation des personnes » et donc faciliter la réalisation de la politique des travailleurs détachés et du dumping social engendré.

C’est une étape clef vers un fichage des compétences européennes que préconise l’ERT (European Round table) depuis 1989 dans son rapport « Education et compétence en Europe », le plus grand lobby européen constitué de 47 des plus grandes sociétés (Renault, Nestlé, Volvo, Philips,..) ; recommandations copiées/collées dans le livre blanc de la Commission européenne « Enseigner et apprendre : vers la société cognitive » préfacé par Edith Cresson en 1995 qui annonçait un « système permettant de valider les compétences techniques et professionnelles, (…)  « cartes personnelles ». Ce système permettrait d’évaluer les qualifications de chacun tout au long de sa vie.

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Le vrai coût de l’école numérique

Un milliard de budget (2016/2018) pour la transformation numérique de l’éducation nationale et renforcer donc l’addiction des enfants aux écrans alors même que l’introduction de matériel numérique à l’école est au mieux insignifiant sur les résultats scolaires, et même significativement nuisible comme en Espagne ou en Pologne. Ces derniers ont ainsi vu le niveau de leurs élèves baisser après avoir introduit des outils numériques dans les classes selon l’étude européenne PISA « Connectés pour apprendre? » (2015).

La connaissance de cet impact social nul voire négatif ne peut qu’éclaircir les réelles motivations de cet investissement financier énorme qui est une charge colossale pour la dette nationale et  par conséquent, au service de qui sont réellement les gouvernements membres de l’UE. D’autant plus que l’influence néfaste des écrans sur le cerveau humain est connue depuis les débuts de la télévision. Non point le contenu lui-même mais bien le bombardement d’électrons qui met le cerveau en état d’hypnose (ondes alpha) et le rend ainsi très malléable comme Herbert Krugman, professionnel de la publicité et au service du renseignement américain, en témoigne.

On peut souligner également le cout réel engendré en matières premières utilisées pour des produits aussi rapidement obsolètes et autant de pollution de déchets. S’y rajoute, le gouffre énergétique que constitue l’économie numérique … En effet, selon l’ADEME, l’envoi d’un mail avec une PJ représente l’équivalent des 25  kWh soit une heure de consommation d’une ampoule… Et en une heure, plus de dix milliards de courriels sont envoyés, soit l’équivalent de 4 000 tonnes de pétrole. Un volume de données (stockage dans le cloud, consultation internet,..) qui double tous les 2 ans.  A ce niveau, on peut parler d’un clair désastre écologique et environnemental et donc de santé publique prévisible pour les générations futures.

D’autant plus que Les consignes du ministère ouvrent clairement la porte aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et incitent les professionnels de l’éducation à utiliser leurs logiciels. Il y a 2 ans, Microsoft s’est d’ailleurs offert 850 000 enseignants et plus de 12 millions d’élèves pour 13 millions d’euros.

A partir de là, ce sont toutes les données relatives à l’utilisation du service par les élèves et les étudiants (blog et photos de classe, manuels et exercices numériques, réseau social pédagogique,…) qui sont collectées par eux.

Pourtant, le LSUN est vendu comme « pratique » aux parents car il leur donne accès aux notes et aux absences de leurs enfants sur internet ; discours tenu par les écoles elles-mêmes et les Associations de parents d’élèves. C’est en effet, le gouvernement français grâce à des subventions  achète la paix sociale notamment 150 000 euros en 2013 pour la FCPE –confédération des parents d’élèves du public.  Ainsi, aucun débat démocratique n’est rendu possible à propos les menaces, nuisances et l’impact réel de cet outil sur nos droits et libertés.

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Cette présentation de l’outil utilise clairement les biais cognitifs de manipulation utilisés en marketing tels que le bais d’ancrage, le biais de petit nombre, de disponibilité en mémoire, de première impression,… ces techniques de manipulation ont pu être expérimentées avec la mise en place progressive de livrets numériques antérieurs : LPC en 2012, SCONET rebaptisé SIECLE, Affelnet 6ème.

Parallèlement, l’existence du collectif national de résistance à Base élève (CNRBE) qui continue son œuvre d’analyse, d’information et d’outils de résistance est passé sous silence.

Le LSUN et le plan école numérique dans son ensemble permettent donc clairement l’instrumentalisation économique de l’École grâce aux contribuables que l’on maintient dans l’ignorance de l’exercice de ses droits. Cela revient à un détournement des recettes fiscales des citoyens et dons des dettes engendrées pesant sur les générations futures.

Par conséquent, la révolution digitale opère réellement une redéfinition du droit de propriété en captant nos données personnelles avec la complicité des Etats européens par l’utilisation des impôts des contribuables et sous l’influence directe de l’UE. Les états abandonnent ainsi la souveraineté de leur propre population en procurant aux multinationales américaines via les GAFA la pleine jouissance des données personnelles des individus ; nouveau gisement de richesses financières conçu comme le nouvel « or noir » du XXI° siècle.

Un droit inaliénable fondamental  disparait en catimini sous les auspices de la « modernité » : la disparition des Etats nations mis en œuvre par les géants du net américains. L’idéologie d’une civilisation où l’Homme devient intégralement transparent et immatériel et abandonnerait la maîtrise de son destin à la Silicon Valley.

Valérie CHÉNARD

Note :

Valérie Chénard – Psychologue et spécialisée en Psychologie sociale et du travail et conférencière. A travaillé de nombreuses années pour l’Association nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes. Elle est spécialisée dans les causes des « risques » dits psychosociaux et sur les facteurs de bien-être social et individuel sous-jacents.